Enfin la nuit, l'interview !

7 novembre 2011

Camille Leboulanger 20 ans, des études de cinéma, une nouvelle publiée dans le recueil Ceux qui nous veulent du bien, chez La Volte, un premier roman, Enfin la nuit, publié par l’Atalante, un deuxième achevé et un troisième en projet. Camille Leboulanger ne chôme pas.

Qu’est ce qui fait qu’à votre âge on consacre du temps à l’écriture pour sortir un premier roman plutôt que d’être planté devant l’ordinateur ou la console ?
En fait j’ai jamais arrêté de jouer à la console ! Je fais les deux. Je joue moins à la console depuis que je suis étudiant. Mais qu’est ce qui fait qu’on y passe autant de temps ? L’envie, je suppose. Et puis ça occupe pas mal de soirées. C’est une question difficile.

Ça a commencé quand ?
J’écris depuis que je suis tout petit. J’ai écrit mes premières nouvelles sérieuses vers 15 ans, et j’ai pas mal griffonné au lycée, pas mal de poésie, beaucoup moins ces derniers temps parce que j’écris d’autres choses. Enfin la nuit c’est mon premier bouquin sérieux, j’avais l’idée de la scène de départ qui m’a été inspirée par la vision d’Hiroshima mon amour d’Alain Resnais. J’avais l’idée de deux personnages, un homme et une femme qui se rencontrent pendant une catastrophe. Ça me trottait dans la tête. J’ai commencé à écrire en décembre 2009 et ça tenait sur quelques pages. J’ai mis de côté un temps, puis je m’y suis remis. J’ai vu que ça prenait plus d’ampleur, je ne savais pas trop où j’allais mais je me suis dit « essaie d’aller jusqu’au bout, vois si tu es capable de tenir un projet sur la longueur ». J’étais dans une période où j’avais besoin de me rassurer. Dans mes études de cinéma, on est toujours obligés de se justifier sur nos projets, d’avoir une justification forte... Alors le soir, l’après midi, dans le train... J’avais mon ordinateur sur les genoux, et voilà.

Six mois d’écriture, c’est assez rapide, il y a eu des choses plus compliquées que d’autres ?
C’est rapide... Pas tant, parce que ce n’est pas un long bouquin. Je l’ai écrit par périodes, je pense que ça se ressent. Il y a des moments où j’écris beaucoup, d’autres où je n’écris pas du tout. Je ne savais pas où j’allais, alors je m’arrêtais.

Il n’y avait pas de fin prévue, de plan ?
Si, à peu près un mois avant de finir je savais où je voulais arriver, mais je ne savais pas comment. C’est vrai qu’au début je déroulais, ce n’était pas un bouquin préparé en amont, avec les fiches de personnages... Je ne croyais pas du tout à cette technique, à ce moment-là. J’en suis revenu ! La préparation c’est quand même bien. C’est un confort d’écriture.

Justement, quels repères vous aviez, pour l’écriture ? Qu’est-ce qui vous a constitué ?
Pour ce bouquin la référence à La route de Cormac McCarthy, je me la bouffe assez souvent. On ne peut pas l’éviter, même si ça commence à m’énerver qu’on m’en parle tout le temps. Le roman, ce n’est pas La Route et ça n’a jamais eu l’intention de l’être, même s’il y a un point de départ commun. Sinon j’ai lu pas mal de science-fiction quand j’étais au lycée. S’il devait y avoir un guide, ce serait Stephen King. Son bouquin Ecritures est le meilleur « guide d’écriture » – si on appelait son bouquin guide d’écriture ça le ferait sauter au plafond je pense –, c’est le meilleur de ce genre-là. Il donne vraiment des conseils pratiques. « Vous voulez écrire ? Très bien, prenez vos affaires et mettez vous au travail. » Je pense que c’est le meilleur conseil que quelqu’un m’ait jamais donné en matière d’écriture et de projet en général : astreins-toi à une discipline. Lui c’est un adepte des 2000 mots par jour, moi je les fais rarement ! Il y a quelque chose que j’admire particulièrement chez King, c’est sa capacité à créer des langages pour ses personnages. Il a un grand talent pour ça, c’est quelque chose que j’essaie de retrouver autant que possible.

Dans votre écriture, on sent une grande maturité, un soin du style.
Pour le style, il y avait La route d’un côté, Stephen King de l’autre. Sa présence est là, ne serait-ce que sur la scène d’attaque de la maison, les personnages de méchants lui doivent pas mal. Et puis il y a aussi le fait qu’au moment où j’écrivais ça j’ai découvert Jean Echenoz, et donc cette forme de littérature blanche qui avait une forte implication dans les personnages et une distance et une ironie par rapport à ce qui se passait. Je pense que ça a pas mal influencé Enfin la nuit.

Vous parliez de cinéma, l’écriture vient en prolongement de vos études ou c’est une parenthèse ?
Le style, ça fait un pompeux de dire ça, mais il se rapproche d’une écriture scénaristique dans la forme : des actes, sans décrire d’une manière lyrique, avec des dialogues courts. Personnellement, je préfère quand les choses s’expliquent par les actes. Je pense que ça vient de l’étude du cinéma. Je me destine à être scénariste, les deux choses se mélangent. Je danse un peu entre les deux. Enfin la nuit tient pas mal d’un scénario, dans la forme, je pense.

La thématique fait donc penser à La Route, même si le roman n’a ensuite rien à voir, mais c’est une histoire de fin du monde, d’un monde. Pas très optimiste pour un premier sujet ?
Je pense que j’ai dû lire beaucoup d’histoires comme ça, voir pas mal de films, à ce moment-là. Quand on me demandait ce que j’écrivais je répondais « une histoire de fin du monde sans zombies » parce que j’en avais marre des zombies. J’avais envie d’écrire cette balade, cette dérive. Comment faire dériver des personnages en dehors de tous repères ? Il faut une catastrophe, pour les mettre sur une route, sans attaches. Si on n’accroche pas à ce point de départ du ciel illuminé qui fait péter un câble à tout le monde, on n’accroche pas du tout. L’idée derrière c’était : il y a ça, qu’est ce qu’on fait face à cette perturbation ? C’est une perturbation drastique de l’ordre des choses. Le monde ne s’écroule pas, finalement. C’est une NDE (near death experience) de la société. On n’est pas passé loin. Je pense, en y réfléchissant, que j’avais tellement détesté le film Les derniers jours du monde, des frères Larrieu, que j’ai dû vouloir me placer en réaction. C’est un film où il y a eu une guerre, le personnage principal erre et sous prétexte que c’est la fin du monde il passe son temps à baiser. J’ai trouvé ça pompeux, ça ne m’a pas du tout plu.

Quel lecteur êtes-vous ?
Je lis beaucoup de comic books américains, je regarde beaucoup de films, je me suis biberonné à la science-fiction, au fantastique, au Seigneur des Anneaux, à la fantasy... Je viens plus de l’imaginaire que du patrimoine.

Interview réalisée par Caroline de Benedetti L'Indic n°10