Du coup, d’où vient cette idée d’une créature géante dans laquelle les gens vivent ?
C’est encore une vieille idée : j’avais vu Pacific Rim de Guillermo Del Toro. C’est une leçon de mise en scène dans la gestion des échelles : j’étais subjugué dès la première bande annonce avec le mouvement du robot qui attrape le paquebot, on a un basculement d’échelle où l’on voit le gigantisme du paquebot et dans le mouvement de caméra, il se retrouve réduit à une taille outil dans la main du robot. J’étais sidéré. C’est un film brillant sur la gestion des échelles. D’ailleurs, il est presque trop brillant : à un moment, il y a une scène qui tient plus de la pose, le moment où le poing du robot s’avance dans l’immeuble, s’arrêtant sur un jouet avec des boules minuscules
Cette gestion des échelles est aussi présente dans Ru.
Il y a une scène dans Pacific Rim où ils ont abattu un monstre, qui reste à terre et plein de personnes arrivent et commencent à la dépiauter et certains rentrent, dont des personnages scientifiques. Je me suis dit qu’il serait marrant d’écrire une histoire avec des gens qui habitent à l’intérieur. C’était en 2014, 2015 et j’avais essayé d’écrire autour de ça mais ça ne marchait pas, ce n’était pas une période où j’écrivais vraiment. Ca m’a travaillé pendant longtemps, j’ai pensé à faire un polar, qui se retrouve dans le personnage d’Alvid qui vient enquêter pour retrouver son mari disparu dans Ru. Je ne saurai pas dire ce qui a déclenché la réécriture de cette histoire, la métaphore du petit qui habite le corps du très grand. C’était la métaphore du corporel, du corps social. Cette division sociale, ségrégation socio-spatiale, qui se passe entre les organes, entre la tête, l’estomac, les intestins. On voit très bien ce que ça veut dire d’habiter le fond d’un organe plein de merde. Il y a un truc qui me permettait d’expliciter certains rapports sociaux et puis aussi d’y toucher : la métaphore du corps géant me facilitait l’entrée dans des questionnements sociaux dans lesquels je ne serai pas arrivé paradoxalement, car ça complique la tâche, à entrer dedans. C’est une “faiblesse” de ma part. Ça me permettait cette distance de parler de choses très concrètes et très actuelles, très France 2019.
On a l’impression que la tête est loin du reste, prenant des décisions, notamment autour de l’immigration, de la violence policère : c’est donc un livre pour parler de l’actualité.
Tout à fait. C’est un bouquin rouge, très en colère. C’est un bouquin de colère pure.
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