L’étrange carrière de John Scalzi

24 janvier 2013

Vous avez lu, que dis-je, vous avez adoré Le Vieil Homme et la Guerre et vous pensez, légitimement, que John Scalzi fait partie de cette longue cohorte d’écrivains militaristes américains. Il y en a des bons, des intéressants, d’ailleurs vous en trouverez même deux chez nous…

Mais ce sous-genre ne rencontre que peu d’intérêt de la part des éditeurs d’ici, sans doute une histoire de psyché différente entre les deux rives de l’Atlantique ou un moins grand fétichisme envers les armes – insérez vos hypothèses ici. Cependant l’usage de cette classification n’est pas du tout adapté à John Scalzi ; il s’agit d’un malentendu et, oserais-je même dire, un fructueux malentendu. Car, tentons l’hypothèse, Scalzi est avant tout un chroniqueur. N’a-t-il pas commencé par être le rédacteur en chef d’une importante feuille de chou universitaire (le Chicago Maroon) avant de poursuivre par des chroniques de films dans la presse ? Par la suite ce fut AOL qui s’offrit ses services de longues années durant, la chronique étant particulièrement adaptée à cette nouvelle ère humaine qu’est l’InfoMonde. Et en parallèle John a lancé l’un des blogs encore actifs le plus ancien whatever.scalzi.com ; 1998, imaginez-vous ?

Cependant, éditorialement parlant, la forme courte est aujourd’hui devenue un non-sens économique. Pour exister en tant qu’auteur vous devez écrire sous forme longue. Notre homme n’étant pas étranger à ce propos, il commit donc en 1997 ce qui devint Imprésario du troisième type, un roman utilisant les codes de la SF pour caricaturer acteurs et agents hollywoodiens. Mais, malgré sa mise à disposition sur la toile, le roman n’attira pas tout de suite l’attention des éditeurs traditionnels (avez-vous remarqué comme cela est en train de changer ? Comment croyez-vous que Larry Correia s’est fait connaître ?).

Que faire alors ? Tout en poursuivant l’écriture de guides plus ou moins loufoques (du guide de l’observateur de la voûte céleste, The Rough Guide to the Universe, à la compilation des actions humaines les plus stupides, The Book of the Dumb), je pense que ce problème a continué de le hanter jusqu’à ce qu’il observe la domination du roman de guerre version SF dans les rayons des librairies… Le résultat ? Vous l’avez eu entre vos mains, c’est l’histoire de John Perry (Le Vieil Homme et la guerre, Les Brigades fantômes, La Dernière Colonie) ; et à la fin de cette trilogie, une utopie pacifiste dans laquelle l’Union Coloniale humaine jouait d’ailleurs plutôt le mauvais rôle ! Nous sommes donc bien loin du portrait-type ou de l’idée que nous nous faisons facilement de ces auteurs. Ici John Scalzi s’est simplement glissé dans un genre qui ne lui était pas naturel mais il y a écrit à sa façon, sans pouvoir s’empêcher de pervertir les codes… pour notre plus grand plaisir !

Depuis John Scalzi est devenu une vraie star de la SF outre-atlantique, certainement du fait aussi de la figure sympathique qu’il incarne presque quotidiennement au travers de son blog. Les contraintes d’édition ont donc presque disparu pour lui, il a reçu carte blanche et il ne s’en prive pas ! Pour preuve, l’un de ses derniers romans reprend presque exactement l’intrigue d’un vieux roman de SF des années cinquante, Fuzzy Nation, dans lequel un prospecteur chanceux doit choisir entre sa nouvelle fortune ou la liberté pour les petites fourrures intelligentes qui ont la malchance d’habiter sur cette fortune. Une mignonne SF de prétoire. Plus étonnante encore est l’idée de départ de The Android’s Dream, satire des histoires d’empires galactiques mais dans laquelle la Terre est en bas de l’échelle, ce qui n’empêche pas ses propres racistes de provoquer un gravissime incident diplomatique grâce au langage des odeurs (si vous sentez où je veux en venir…) de l’allié extraterrestre de la Terre. S’ensuit une série improbable de péripéties satirico-hilarantes.

Mais, malgré tous les efforts de John Scalzi, aucune de ses diversifications n’a pour le moment connu l’énorme succès du Vieil Homme et la Guerre. Faut-il y voir une erreur dans le choix du public SF, un désintérêt pour ses pochades ? Ou faut-il constater la permanence de l’attrait du Grand Large (l’espaaaaace) parmi ce public ? Ou alors il s’agit d’un cas, classique, de contraintes d’écriture fructueuses ? Qu’en dites-vous ?

Alain

P.S. Au début je voulais vous parler du prochain livre de John Scalzi, Redshirts, et puis mon introduction a un peu dévié… peut-être la prochaine fois ?