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Diffusion-distribution : CDE / SODIS
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Entends la nuit
commence avec l’héroïne, Myriame qui, après un épisode de vie de
bohème, revient chez elle, à Paris, pleine d’appréhension. Il y a
d’abord cette maman âgée dont les excès de prévenance l’agacent
terriblement, mais le lecteur comprend qu’elle lui porte un amour assez
fort pour surmonter les énervements du quotidien.
De la même manière,
Myriame s’est fixé pour but de s’immerger dans le réel, avec une
volonté farouche, mais un réel conçu comme un idéal et un repoussoir.
Myriame
démontre qu’elle a cette certitude étrange de ne pas être taillée pour
cette vie-là, mais il s’agit visiblement pour elle d’un défi qu’elle
s’est imposée, or cette normalité, conçue comme une sorte d’idéal noir
est peut-être inatteignable…
En attendant, elle arpente les allées du
réel : elle achète des tailleurs gris ou noirs, elle dégote un boulot
ennuyeux, sans doute mal payé, dans une entreprise moderne, sise dans un
immeuble parisien vénérable, dont les appartements ont été transformés
en bureaux. Attachée à un ordinateur, Myriame passe sa journée à
parcourir les réseaux, tout en étant observée en permanence, par un
dispositif particulièrement tyrannique : Pretty Face, image mosaïque qui
permet à chacun de voir chacun à son poste et d’où les « pontes » de la
Zuidertoren scrutent leurs « sujets »…
Cette ambiance d’espionnite
n’empêche pas les collègues de sympathiser : Iko, tout d’abord, une
cadre, mais ici de ces cadres qui n’ont de pouvoir que le titre, puis
Sacha, le beau mâle parfumé, tout en boniment et séduction, Awa, une
jolie noire, et enfin Mei, la bonne copine avec qui elle partage son
bureau et ses remarques pour dénicher le petit copain idéal.
Alors qu’ils mangent ensemble dans la cafétaria de l’entreprise, Sacha murmure soudain :
— Les Supérieurs hiérarchiques !
Ils
sont grands, beaux, ils ont la classe et s’habillent chez les plus
grands couturiers, une beauté minérale qui fascine Myriame tandis qu’ils
traversent la cafeteria sans voir personne : une hauteur, et une
indifférence qui les classent d’emblée au-dessus du commun…
Bientôt,
Myriame obtient un vieux bureau, étroit, humide, mal aéré : sans y
réfléchir, elle le nettoie, le brique, cire les vieilles boiseries. Le
lendemain, alors qu’elle reprend son poste, elle aperçoit dans Pretty
Face un visage en gros plan, beau comme un dieu. Il s’agit là aussi d’un
autre supérieur hiérarchique, encore plus beau, mieux habillé, aussi
minéral… Angus, invisible et pourtant clairement tout-puissant.
Il y a
chez lui, un intérêt et un humour qui la séduisent, un goût de la
nouveauté qui pique sa curiosité. En retour, lui s’intéresse à elle, non
pas en tant qu’employé mais en tant que personne. Il sait, sans qu’elle
ait besoin de le dire, qu’elle a remis le bureau à neuf, et bientôt, il
lui propose un studio voisin. Myriame accepte, et se retrouve dans cet
appartement au charme victorien liée à son bailleur. Commence alors une
relation tout aussi érotique, qu’étrange et dont Myriame veut oublier le
danger. Et ce d’autant plus, que son retour initial — lié à un secret
inavouable — revient la tourmenter en parallèle à son aventure
amoureuse…
En littérature, le genre du Fantastique s’est beaucoup
détourné de son sens originel. À force d’écrire du merveilleux, nombre
d’auteurs se sont égarés dans des récits qui ont perdu toute force :
ici, le Fantastique fait irruption dans sa Radicalité, son originalité
brute avec le risque de sombrer sur des sentiers terribles...
Dans Entends la nuit,
le suspense monte fort, il monte vite et il devient haletant car, à se
positionner hors de sa condition humaine, Myriame se confronte à des
êtres dont elle est loin d’imaginer l’étendue des pouvoirs... dans un
jeu où la séduction, l’érotisme ont toute leur place ; car l’héroïne se
prend de passion pour le monde qu’elle découvre…
Catherine Dufour
renoue ici avec un Fantastique, dont les pères se nomment Nerval,
Hoffmann, Maupassant, Lovecraft... et où les spectres aiment se
confronter aux vivants. Nulle préciosité, mais au contraire, une
nervosité du récit, une héroïne vivante, vibrante, qui développe une
passion qui confine à la provocation, à l’érotisme et au danger qu’il y a
à côtoyer des êtres dont l’âme est un mystère explosif…
Il y a ici
de cette « étrange étrangeté » dont parle Freud dans ses Essais de
psychanalyse appliquée, de ces mystères qu’il ne sert à rien
d’interpréter, au risque de les affaiblir, de cette étrangeté, qui
exerce sur nous une attraction aussi irrésistible que le parfum d’une
plante à la séduction mortelle pour les insectes qui sont sa nourriture…
Avec
ce beau roman, Catherine Dufour renoue avec les racines de la pure
fiction et nous entraîne sur un terrain où elle se perd avec ivresse et
finesse sur les sentiers de la terreur. Je n’en dirai pas plus pour ne
pas troubler votre lecture… incontournable.
- Bernard Henninger, le 15 janvier 2019.
De la fantasy au post-apo
Après
une sympathique histoire de fantasy parue en 2017 et mettant en scène
un barde à la poursuite de son luth (« Bertram le baladin »), Camille
Leboulanger a publié l’été dernier son troisième roman dans lequel il
revient au post-apo, déjà au cœur de son premier ouvrage (« Enfin la
nuit »). L’auteur nous propose de suivre le parcours d’un jeune homme
dont la conscience s’éveille soudainement alors qu’il en était jusqu’à
présent réduit au stade de presque-zombie, déambulant sans but et sans
émotion au sein des « mangeurs de boue ». Le voilà à présent éveillé,
alerte, et, heureusement, prit sous l’aile d’un vieil excentrique,
Arsen, qui va lui apprendre à parler, lire, écrire, et comprendre le
monde qui l’entoure, bref à redevenir un homme. Un monde très différent
du notre et dont on devine pourtant qu’il n’en est que la continuité :
un monde où toute l’eau est devenue toxique, où la grande majorité de la
population a disparue, et où on ignore tout ou presque du passé de
l’humanité et de la nature des traces que la dernière génération a
laissé. Dans ces circonstances, survivre relève du parcours du
combattant, surtout que la Malboire, l’eau polluée, est partout, et que
la seule façon de s’hydrater consiste à récolter l’eau de pluie avant
qu’elle ne touche le sol. Arsen, toutefois, caresse l’espoir fou de ne
plus dépendre des cieux pour avoir accès au liquide vital et bricole
depuis des années une machine lui permettant de forer la terre. Qui
sait, s’il parvient à creuser vraiment profond, peut-être tombera-t-il
sur de l’eau douce potable, et non plus sur la Malboire !
Un voyage initiatique sur fond de fable écologique
L’écriture
de Camille Leboulanger est particulièrement soignée et il s’en dégage
une poésie à laquelle j’ai tout de suite été sensible. Certes, il est un
peu déconcertant de se retrouver plonger sans véritables repères dans
ce monde presque mort, au côté de ces personnages qui ne partagent pas
les mêmes codes que nous, mais il suffit de se laisser porter par le
récit pour que l’immersion ait lieu, tout naturellement. Cela devient
d’autant plus simple au fil de l’œuvre, non seulement parce que les
personnages et la Malboire nous paraissent peu à peu plus familiers,
mais aussi parce que les vestiges de notre société se font de plus en
plus présents au fil des pages. Des vestiges qui n’évoquent évidemment
rien chez les personnages mais qui ne manquent pas d’éveiller des échos
chez le lecteur. On peut d’ailleurs saluer l’intelligence de l’auteur
qui prend le parti de ne pas prendre ses lecteurs pour des idiots en
cherchant à expliciter sans arrêt toutes les bizarreries du « Temps
Vieux » croisés par nos héros : on comprend sans avoir besoin
d’explications à quoi correspondent ces terrifiants monstres qui
s’acharnent sans relâche sur la terre, ou ce qu’est le Grand Clapot,
immense étendue d’eau non contaminée et pourtant imbuvable. La dimension
écologique du texte saute aux yeux, et, compte tenu du contexte mondial
actuel, ce n’est évidemment pas un hasard. Certains pourront sûrement
être gênés par le fait que le récit prend parfois son temps, mais on
partage tellement la consternation du protagoniste face à ce que le
monde est devenu qu’on finit par apprécier ce rythme posé.
Un décor et des personnages atypiques et marquants
L’ébahissement
est d’autant plus grand au fil du voyage du personnage qu’il nous
permet de découvrir différents endroits de ce monde ravagé, ainsi que
les manières très différentes dont les habitants se sont adaptés. Il y a
évidemment des villageois ordinaires, qui récoltent l’eau de pluie, se
suffisent de ce qu’ils ont et vivent dans des bâtiments du Vieux Temps
dont seuls quelques enseignes témoignent encore de la présence d’une
précédente civilisation. Il y a aussi les Planches à mort, ces hommes
qui attendent inlassablement sur leur barrage qu’une nouvelle vague
mortelle déferle sur le monde. Et puis il y a la Feuillue et son
équipage de Batras, qui arpentent le monde à la recherche d’En Haut, un
endroit où, selon la légende, la terre n’aurait pas été atteinte par la
contamination et où resteraient encore de grandes quantités d’eau
potable. Au fil des pérégrinations de notre héros, on fait la rencontre
de plusieurs personnages marquants, à l’image du pathétique Va t-en, ou
encore de l’implacable Feuillue. Les protagonistes sont finalement assez
peu caractérisés mais deviennent très vite attachants. Moins que leur
personnalité elle-même, c’est la nature du lien qui les unit les uns aux
autres qui émeut le lecteur. La relation qu’entretiennent Mivoix et
Zizare est d’autant plus émouvante qu’on n’appréhende son personnage à
elle que par son regard à lui, et que cette relation se passe la plupart
du temps de mots. Difficile également de ne pas se prendre d’affection
pour le vieil Arsen, dont la détermination et l’ambition forcent le
respect.
Camille Leboulanger signe avec « Malboire » un roman
post-apo atypique et poétique, qui met en scène un monde ravagé et des
personnages qui refusent de se résigner. Un récit court mais percutant,
qui continue à nous trotter dans la tête bien après la dernière page
refermée.
- Boudicca, le 4 février 2019.